Je viens de finir la lecture de La Parfaite Lumière d’Eiji Yoshikawa [1], second volet du roman de la vie de Miyamoto Musashi, un personnage historique réel dans le Japon du XVIIe siècle, et inventeur de la Voie des deux sabres. J’avais lu le premier volet, La Pierre et Le Sabre, alors que j’étais toute jeune, et l’ai relu avec passion l’an dernier. La lecture des deux volets m’a pris presqu’un an. Ça se lit très bien, mais je ne souhaitais pas lire vite. Je souhaitais savourer l’histoire longtemps.
Vlad et moi sommes allés au Japon en juin dernier. À Kyoto particulièrement, certains lieux avaient jadis été des endroits familiers de Musashi, ou des endroits où il combattit. C’est le cas du Rengeōin, le Sanjūsangen-dō, que nous avons visité.
Musashi s’y serait battu en duel avec Yoshioka Denshichirō, de la Maison Yoshioka, en 1604. Musashi désarma Denshichirō et le vainquit. À l’intérieur du Rengeōin, nous avons admiré un des trésors nationaux du Japon —les mille statues armées en or de Kannon, les vingt-huit statues en bois des dieux gardiens ainsi que les deux statues de Fūjin (dieu du vent) et Raijin (dieu de la foudre). Elles y étaient déjà au temps de Musashi. Nous avons également vu une exposition de photos tirées des films dont l’histoire s’y passait. Sur l’une d’elles on voyait le duel entre Musashi et Denshichirō ; la description m’a contrariée. Plus que décrire la scène elle-même, elle révélait l’intrigue !
À tel point qu’atteindre le dénouement du second livre avait perdu tout intérêt à mes yeux. Je connaissais déjà la fin, aussi ne me restait-il qu’à parcourir les pages à mon gré et m’immerger dans les aventures de Musashi et sa quête philosophique. Ce que je fis jusqu’à hier soir.
J’ai fini les quelques chapitres restant hier. Oh, surprise ! La fin n’était pas celle suggérée dans la description de la photo exposée au Rengeōin. J’ai douté cinq pages avant la fin.
Voici quelques citations, ne révélant pas l’intrigue, tirées de La Parfaite Lumière d’Eiji Yoshikawa, illustrant la quête philosophique de Miyamoto Musashi.
Musashi cherchait une Voie du sabre qui embrassât toute chose. (p. 58)
La Voie du samouraï… Il se concentra sur ce concept, tel qu’il s’appliquait à lui-même et à son sabre.
Soudain, il vit la vérité : les techniques de l’homme d’épée n’étaient pas son but ; il cherchait une Voie du sabre qui embrassât toute chose. Le sabre devait être beaucoup plus qu’une simple arme ; il devait être une réponse aux questions existentielles. La Voie d’Uesugi Kenshin et de Date Masamuno était trop étroitement militaire, trop étriquée. À lui d’y ajouter un aspect humain, de lui donner une plus grande profondeur, une plus grande élévation.
Pour la première fois, il se demandant s’il était possible à un être humain insignifiant de ne faire qu’un avec l’univers.
La Voie du sabre devait être une source de force. (p. 165)
Musashi estimait son but en parfait accord avec ses idéaux d’homme d’épée.
Il en était venu à considérer la Voie du sabre sous un nouvel angle. Un an ou deux auparavant, il voulait seulement vaincre tous ses rivaux ; or maintenant, l’idée que le sabre existait pour lui donner pouvoir sur autrui ne le satisfaisait plus. Abattre les gens, triompher d’eux, montrer jusqu’où sa propre force pouvait aller, tout cela lui semblait de plus en plus vain. Il voulait se vaincre lui-même, soumettre la vie elle-même, faire vivre les gens plutôt que les faire mourir. La Voie du sabre ne devait pas servir uniquement à son propre perfectionnement. Elle devait être une source de force pour gouverner les gens, les conduire à la paix et au bonheur.
Musashi se prépare à peindre. (p. 675)
Il considérait le papier blanc comme le grand univers de la non-existence. Un simple coup de pinceau y ferait naître l’existence. Il pouvait évoquer la pluie ou le vent à volonté mais, quoi qu’il dessinât, son cœur subsisterait à jamais dans le tableau. Si son cœur était corrompu, le tableau le serait aussi. S’il essayait de faire étalage de son adresse, impossible de le cacher. Le corps humain s’efface, mais l’encre survit. L’image de son cœur survivrait après que lui-même aurait disparu.
Il sentit que ses pensées le retenaient. Il était sur le point d’entrer dans le monde de la non-existence, de laisser son cœur parler seul, indépendamment de son ego, libéré de la touche personnelle de sa main. Il essayait d’être vide, attendant l’état sublime où son cœur s’exprimerait à l’unisson de l’univers.
L’eau a la vie éternelle. (p. 686)
Par-dessus bord, il regardait tourbillonner l’eau bleue. Elle était profonde à cet endroit, infiniment profond, et animée de ce qui semblait être la vie éternelle. Mais l’eau n’a pas de forme fixe et déterminée. N’est-ce pas parce que l’homme a une forme fixe et déterminée qu’il ne peut posséder la vie éternelle ? La vraie vie ne commence-t-elle pas seulement lorsque la forme tangible a été perdue ?
[1] J’ai lu 5392