Ce soir j’ai rencontré quelqu’un. Karima. Une dame d’âge mûr, habillée avec élégance et dont le visage évoquait celui de Sophia Loren, et qui aidait au service dans le restaurant italien où j’ai choisi de diner, un peu tard.
Elle avait envie de parler. Elle semblait contente de pouvoir me renseigner en français sur le menu. Les convives qui étaient là, à la tablée de quatre, étaient tous italiens et elle ne parlait pas la langue. Les clients qui sont arrivés après moi étaient aussi des italiens. Décidément. Il ne restait que la télé où BFMTV nous donnait les nouvelles, le chef en cuisine, et moi. Alors elle regardait la télé, elle arrangeait des choses ça et là, elle servait et desservait, elle disparaissait brièvement en cuisine.
C’est au moment du dessert qu’elle engageât la conversation, depuis une table devant moi, alors qu’inspirée par le reportage de BFMTV sur l’inhumation de Nelson Mandela, elle me fit part de son admiration pour le grand homme qui avait tant oeuvré pour son pays et l’humanité. J’acquiesçais et hochais la tête.
La vérité, c’est qu’entre les bruits de repas du couple d’italiens à ma gauche et le son même faible de la télé, je ne l’entendais pas assez pour la comprendre et je ne parvenais pas à tout lire sur ses lèvres.
Je reconstituais tant bien que mal les phrases, et priais que mes réponses et mouvements de tête s’accordaient bien avec ses propos. “Mandela a quand même passé vingt-sept ans en prison !” “Il a failli être exécuté.” [Karima traça un trait horizontal sur sa gorge avec son doigt] “En France … gouvernement de Giscard … puis Mandela libéré” Je n’ai pas saisi. “Afrique du Sud … Ma belle-fille vient de Cape Town.” “C’est bientôt l’anniversaire de mes jumeaux.” “Oh, lui ai-je répondu, vous avez des jumeaux? Mon frère et moi sommes jumeaux !” “Oui, ils auront 38 ans bientôt, ils sont Capricorne.” Le même âge que mon frère et moi. Karima partageait désormais des bribes de sa vie.
J’ai alors invité Karima à prendre place à ma table si elle voulait, en lui expliquant que je l’entendais mal. Une fois à proximité, malheureusement, elle baissa naturellement le volume de sa voix et certains de ses mots restaient couverts par ceux des voisins et de la télévision.
C’est ainsi. C’est ainsi que j’ai appris son prénom, celui de ses enfants ainsi que leur âge, leurs métiers, le pays où ils habitent. C’est ainsi que j’ai appris que Karima, mariée à l’âge de 15 ans, divorça à 28 ans et éleva seule ses deux enfants, les faisant voyager entre le Maroc, la France et Dubai, leur apprenant le protocole, la vie avec les riches, les pauvres, à donner au pauvres, etc.
J’ai appris en une heure une quantité de choses sur Karima et ses enfants, leur caractère, leurs récentes activités et leurs projets. Mais c’était surtout une rencontre imprévue, imprévisible, et belle.