Lecture : La main (Georges Simenon)

C’est le premier livre de Georges Simenon que je lis. Ça se lit très facilement car c’est écrit simplement et précisément. Par contre le sujet traité est difficile alors je l’ai lu en trois fois.

J’ai compris que le narrateur sombre dans la folie, assez soudainement et de façon plutôt organique, et presque paisiblement.

Couverture du livre représentant une main baguée posée sur une poitrine.

L’histoire intimiste se passe près de —et dans— New-York pendant toute une saison entre mi-janvier et mi-mai, et est probablement contemporaine à sa date de parution (donc fin des années 1960). Donald Dodd a 45 ans, il est associé dans un petit cabinet d’avocats de la ville de banlieue bourgeoise qu’il habite, marié à Isabel depuis 17 ans, et ensemble ils ont deux filles de 15 et 12 ans, scolarisées en pension dans une ville voisine et qui viennent passer le week-end toutes les deux semaines dans leur maison avec jardin et piscine.

Du début alors qu’une tempête de neige fait rage, à la fin où le printemps se fait estival et nos protagonistes se succèdent à la piscine, on assiste au basculement lent mais certain de la douce vie du héros, jusque là ponctuée d’habitudes peu ou pas remises en question.


[spoilers] Désormais tout à l’instinct, Donald se retrouve complice de la mort accidentelle de son meilleur ami, réalise qu’il l’avait toujours jalousé et haït, se compromet en pensées charnelles avec la veuve de ce dernier dans un huis clos étrange de plusieurs jours sous les yeux de sa propre femme, et finalement concrétise cet adultère dès que possible chez la séduisante veuve. Il profite alors pendant plusieurs mois de ce nouveau « lui » sans se cacher ni culpabiliser, et toutefois sans intention de nuire, car après tout les deux amants ne sont pas amoureux –un détail qui semble prépondérant aux yeux du mari– qui n’a nulle intention de divorcer. Il est à la fois libre mais sans cesse épié par Isabel et incapable d’interpréter ce regard. Alors on suit Donald dans cet autre rôle, voyant sa maîtresse de plus en plus, l’admirant alors qu’elle fait sa toilette– un nouveau rituel au même titre que d’aller boire deux martinis chacun à l’apéritif– jusqu’à ce que leurs retrouvailles s’espacent progressivement, puis qu’elles cessent tout à fait : la belle va se remarier. Ce qui perdure c’est le regard bleu clair de sa femme, tantôt curieux tantôt bienveillant. Il en a remarqué d’autres : celui de son associé, de sa secrétaire, de son médecin, de tout le monde dans la petite ville, et même de son père. Mais c’est celui de sa femme, qui l’observe depuis dix-sept ans, qui l’agace. Non seulement elle ne dit rien, mais son regard ne révèle rien. Alors qu’il a depuis longtemps cessé de l’aimer, elle continue de l’observer, sans relâche, même la nuit alors qu’il ne trouve pas le sommeil tant il fait chaud, elle le guette. Dans un dénouement soudain il ouvre sa table de nuit, saisit son pistolet, et tire sur Isabel. [/spoilers]

L’œuvre contient peu de dialogues car il s’agit principalement du point de vue et des conjectures de Donald alors qu’il se découvre différent et emprunte un autre chemin de vie sous le regard bleu clair, quasiment constant, et muet, de sa femme, qu’à aucun moment l’on n’entend vraiment. D’ailleurs l’on entend tellement peu les personnages que la plupart du cheminement de Donald n’est pas raisonné. Je me suis surprise à spéculer des manipulations qui ne furent pas avérées, à supposer des antécédents de frustration non révélés, à ne pas comprendre certaines actions, à me demander l’intérêt de présenter des personnages secondaires obliquement tant les rapports sont opaques, par exemple les filles du couple, le père de Donald, ou bien son frère.

Je ne me suis identifiée à aucun des individus. La vie de Donald pendant sa crise existentielle semble aussi insipide que celle lui précédant. Même si j’ai apprécié le style de l’auteur et le genre du roman, j’ai l’impression, comme Donald en quelque sorte, d’avoir raté quelque chose.

Book : Toi, qui que tu sois (Marc Large)

Couverture du livre: portrait serré d'un personnage enturbanné à l’œil doré

In this story, fate draws together people who don’t know each other but become tight as family members, in a journey starting from a pristine settlement in Mali to southwest France across the Sahara desert, Morocco, the Mediterranean and Spain. 

The book is as much about the journey as it is about the destination. In following the adventure of Anzar Bilal over the course of 20 months, the reader discovers selected wonders of Northern Africa and its various cultures, is heartbroken with the cruelty of war, roots for the hero to succeed, loses faith in people and sees it restored, somewhat. 

It’s a book about beautiful encounters and unspeakable horrors, determination and sacrifice, captivity and freedom —a book that despite everything loud holds your hand and speaks in a soothing voice.

Book: “Northanger Abbey” by Jane Austen

Cover of the book 'Northhanger Abeey' by Jane Austen, representing the portrait of a young woman

I am so impressed that Jane Austen wrote this at 22 years old. It’s her first novel but until it was printed posthumously she had made changes to the manuscript. It’s hard to know what changed (beyond the name of the main character and the title) but it does feel like the whole book is a bit disjointed. It’s hard to say how much to attribute this to the rewriting or to the fact that it is a patchwork of themes and genres. 

It’s a satire, in the form of a parody of gothic novels,  but it’s also a feminist work except that every female is several shades of dim, it’s a love story except that the male protagonist is away most of the time *and* whose love is rather undeclared, it’s a coming of age book both about the main character and apparently for Jane Austen herself. 

Northanger Abbey goes against all common conceptions but always smoothly. All characters are fascinating. It’s very witty —so much of the book is quotable!

But there are a few things that did not work for me in the roles of the entire Tilney family and which remain unexplained despite research and after reading introductions and some reviews from scholars. To name only one, why would the father, a general —or any rich man for that matter— care so much about designing the marriage of only one of his children (and to be that of his second son), and how could he devote so much energy and time to it, remains an utter mystery.

Lecture : Le roi n’avait pas ri (Guillaume Meurice)

 
Photographie de la couverture du livre, posé sur une couverture en laine claire. L'illustration est celle d'un fou du roi sous la pluie semblant transi de froid.
Photographie de la couverture du livre, posé sur une couverture en laine claire. L’illustration est celle d’un fou du roi sous la pluie semblant transi de froid.

Roman agréable à lire, prenant, et bien documenté.

Le Roi N’avait Pas Ri est une réflexion très pertinente sur les puissants, la place de la dérision, et les limites de celles-ci; ponctuée de citations d’Érasme telles que « L’avis donné en plaisantant n’a pas moins d’effet que le sérieux. La vérité un peu austère par elle-même, parée de l’attrait du plaisir, pénètre plus facilement dans l’esprit des mortels. » (Source : Lettre d’Érasme à Dorpius)

J’ai moins accroché aux transitions trop fréquentes et manquant de subtilité (mais heureusement fort courtes), entre le présent du héros narrateur (Triboulet) et le passé qu’il raconte. Leur intérêt m’échappe.

Je l’ai lu en trois incursions, n’ayant pas disposé du temps pour le lire d’une seule traite !

Un mot sur l’auteur

Guillaume Meurice est chroniqueur humoristique engagé, dans l’émission quotidienne « Par Jupiter !» sur France Inter. Pendant « Le Moment Meurice », composée de micro-trottoirs, il se penche sur l’actualité, les sujets controversés à caractère essentiellement politique, et met en avant leur absurdité, leur incohérence, leurs paradoxes, ou dresse des caricatures percutantes par le biais de ceux qui en parlent le mieux (ou le pire !) : les passants comme vous et moi qu’il interroge.

« Le Roi N’avait Pas Ri » n’est probablement pas un autoportrait. J’ai regardé récemment une entrevue où Guillaume Meurice précisait que non, il n’a pas tellement dérapé qu’il a eu à essuyer de lourdes conséquences. Par contre ça pourrait être un autoportrait dans une autre réalité. Car malgré les siècles qui les séparent, Triboulet et Guillaume Meurice tiennent des rôles similaires.

Le relire, par goût

Maintenant que je connais l’histoire, j’ai presqu’envie de recommencer la lecture pour me concentrer sur, et me délecter du vocabulaire et des tournures que Guillaume Meurice emploie.

À commencer par le nom du héros ! Il n’en a pas lorsqu’il est invité par Louis XII à passer sous les cordages séparant le peuple de la parade, afin de l’accompagner dans le cortège royal traversant Blois –et par la suite devenir fou du roi. Nommé « Laideron » (où le « e » n’est pas prononcé) par ses parents et fratrie, c’est dans l’enceinte du château, alors qu’il est relégué dans un enclos à poules, à porc-épic du roi et à fou du roi en titre, que celui qui le prend sous son aile et va l’éduquer s’approche, et alerté par la commotion entre servantes et fous, lui demande « Qu’es-tu en train de tribouler, toi ? » (tribouler, verbe transitif : agiter, remuer, troubler, embrouiller) C’est ainsi que Laid’ron eut un nom. Comme les autres. Les normaux.

Et puis il y a cette scène improbable à la taverne où notre héros ayant gagné quelqu’argent se retrouve à boire du vin pour la première fois et l’aubergiste tente vainement de lui expliquer pourquoi on devrait dire « faire long feu » au lieu de « pas faire long feu », ou bien d’où vient l’expression « cul sec », sans jamais aller au bout ni de l’un ni de l’autre tant Triboulet beugle qu’il veut d’autres rasades.

Quant aux descriptions percutantes de simplicité sur l’absurdité de la guerre, ou les paradoxes de la religion : un régal.

Bref, je n’avais pas lu trente pages que je jubilais et me félicitais d’avoir pré-commandé ce livre pour sa sortie !

Description par l’éditeur

Triboulet fut le difforme et volubile bouffon de Louis XII et François Ier. À travers sa vie de frasques et de facéties, il testa chaque instant les limites de sa liberté. Jusqu’à… la blague de trop.
Le pouvoir tolère-t-il vraiment le rire ? Lorsqu’elle est permise par un roi, l’irrévérence fait-elle révérence ?
L’ascension et la chute de Triboulet, racontée par un bouffon du XXIe siècle.