L’œil de Musashi se posa par hasard sur l’extrémité coupée de la tige de la pivoine. Il inclina la tête, surpris, mais sans comprendre ce qui avait attiré son attention.
[…]– Sais-tu qui a coupé cette fleur ?
– Non. On me l’a donnée.
– Qui ça ?
– Une personne du château.
– L’un des samouraïs ?
– Non, c’était une jeune femme.
– Hum… Alors, tu crois que la fleur vient du château ?
– Oui, elle me l’a dit.[…]
Les vingt centimètres du morceau de tige fascinaient Musashi beaucoup plus que la fleur de l’alcôve. Il était sûr que la première entaille n’avait été faite ni avec des ciseaux ni avec un couteau. Les tiges de pivoine étant souples et tendres, elle ne pouvait avoir été faite qu’avec un sabre, et seul un coup résolu pouvait avoir tranché aussi net. Quiconque avait fait cela n’était pas un être ordinaire. Lui-même avait eu beau tenter de reproduire l’entaille avec son propre sabre, en comparant les deux extrémités il se rendait compte aussitôt que la sienne était inférieure, et de loin.
[…]
Otsū rendit compte de sa mission à Sekishūsai.
– Le fils Yoshioka a-t-il pris en main la pivoine pour la regarder ? demanda-t-il.
– Oui. Quand il a lu la lettre.
– Et alors ?
– Il s’est contenté de me la rendre.
– Il n’a pas regardé la tige ?
– Pas que je sache.
– Il ne l’a pas examinée ? Il n’en a rien dit ?
– Non.
– J’ai bien fait de refuser de le rencontrer. Il ne le mérite pas. La maison de Yoshioka aurait mieux fait de finir avec Kempō[…]
Musashi fit porter par Jotarō une lettre aux gens de Yagyū, ainsi que la tige.
« Curieuse lettre », se disait Kizaemon. Il considéra de nouveau la tige de pivoine, examinant avec attention les deux extrémités, mais sans pouvoir discerner si une extrémité différait de l’autre.
[…]
– Si ce que dit la lettre est vrai, déclara Kizaemon, et s’il a vraiment pu discerner que cette tige avait été coupée par un expert, alors il doit savoir quelque chose que nous ne savons pas. Le vieux maître l’a coupée lui-même, et apparemment cela saute aux yeux de quelqu’un dont les yeux voient véritablement.
Kizaemon demanda l’avis de trois autres au dōjō; aucun ne sut distinguer une extrémité de l’autre. C’était décidé, ils souhaitaient rencontrer ce « Shimmen Musashi », signataire de la lettre à l’écriture ayant du caractère, qui pourrait tout à fait être le Miyamoto Musashi qui avait aidé les prêtres du Hōzōin à tuer toute cette racaille, dans la plaine de Hannya.